26 Novembre 2021

[NEURO#4] Quels enjeux pour le futur des neurosciences dans l’espace ?

Si les expériences que nous menons sont toujours plus précises, les équipes de recherche sont encore loin d’avoir identifié tous les mécanismes qui perturbent nos sens en impesanteur. Plus on approfondit le sujet, plus les questions sont précises ! Et les enjeux à venir sont importants...

Face à l’impesanteur aussi, nous sommes tous différents

En 60 ans, moins de 600 personnes ont franchi la fameuse « frontière de l’espace ». Certains pour quelques min, et d’autres plus de 200 jours. L’ensemble des vols spatiaux cumulés représente environ 140 ans, soit à peine 2 vies humaines. Des hommes et des femmes, quelques participants de moins de 30 ans et plusieurs de plus de 60 ans. Des pilotes, scientifiques, ingénieurs, touristes aussi qui se succèdent dans des capsules, avions spatiaux, stations, petites et grandes, à l’équipement qui change en permanence.

[....] rendre malade les futurs astronautes [...]

Dès lors, on comprend les difficultés pour analyser et expérimenter des effets physiologiques, neurologiques et leurs éventuels traitements. Plus il y aura d’astronautes, plus les effets du vol spatial seront documentés et mieux les phénomènes seront analysés. Mais pour l’instant, il est difficile de faire des moyennes, d’établir des marges d’erreur. Les astronautes sont très singuliers et sont déjà chacun des sujets hors normes : les expériences d’aujourd’hui essaient d’extraire des signatures propres à chaque thématique et chaque patient.

D’autant que certaines méthodes utilisées depuis des décennies n’ont pas forcément les effets escomptés : « Le fameux exercice du tabouret tournant est toujours utilisé en Russie, explique le Dr. Gilles Clément (International Space University - ISU), et l’idée de rendre malade les futurs astronautes en les habituant peu à peu à cette méthode pour qu’ils n’aient pas le mal de l’espace une fois en orbite est tenace … Même si une fois en impesanteur leurs sensations sont identiques à celles des américains qui ne subissent pas cette petite torture. »

40 ans séparent les missions PVH de Jean-Loup Chrétien en 1982 et Alpha de Thomas Pesquet en 2021 : les défis de l’impesanteur se ressemblent, même si les enjeux ont changé. Crédits : Roscosmos.

Pour demain, un pilote à la main assurée

Eviter le mal de l’espace, mais aussi les déséquilibres et pertes de repère et améliorer la perception des distances, tels sont nos défis d’aujourd’hui et de demain. Avec l’expérience Pilote menée il y a quelques mois par Thomas Pesquet dans sa mission Alpha, l’astronaute a pu tester un condensé de nos progrès pour mieux comprendre les sens. Le dispositif combinant un casque de réalité virtuelle et un mécanisme à retour de force au bout des doigts, ainsi qu’un enregistrement complet.

« Nous voulons comprendre comment le cerveau coordonne les informations visuelles qu’il reçoit avec les gestes pour générer des mouvements complexes en Zéro-G, notamment pour aller saisir des objets », détaille le Dr. Michele Tagliabue, de l’Université Paris Descartes.  En ligne de mire bien sûr, l’évolution future des opérations robotisées sur la station, mais aussi la télé-opération potentielle de véhicules lors de missions qui se dérouleront sur la Lune, ou même sur Mars. « Pour Pilote, le matériel a été conçu avec une ergonomie terrestre, mais à terme il serait logique de développer l’ergonomie spatiale », souligne le chercheur. Les résultats sont déjà à l’étude avec l’aide du CADMOS, centre opérationnel du CNES de Toulouse.

Les neurosciences pour ne pas se tromper sur Mars

Hésiter pour tourner à gauche ou à droite dans la Station Spatiale Internationale (ISS), ce n’est pas dramatique. Mais s’égarer sur la Lune car notre vision y est perturbée par une perspective effacée et une mauvaise perception du temps peut être beaucoup plus grave. Le Dr Pierre Denise (INSERM – Université de Caen) souligne que pour l’instant, « les relations entre des problèmes sensoriels et temporels sont encore mal connues. D’ici que l’humain aille explorer d’autres planètes, il faudra mieux comprendre l’orientation spatiale, non seulement en Zéro-G, mais aussi à gravité lunaire ou martienne ».

D’autant que les trajets vers Mars en particulier s’annoncent longs, et que pour les 1eres missions d’humains sur place, les équipages devront être efficaces car leur temps sur la planète rouge sera compté. Il s’agira donc d’optimiser à la fois les travaux pour les longues périodes d’impesanteur, mais aussi l’adaptation rapide à un environnement nouveau, à une gravité inhabituelle. Une question de sécurité, autant que de confort.

L’astronaute Anne McClain réalise l’expérience "Perception du temps en microgravité" à bord de l’ISS en 2019. Crédits : NASA.

En action dans l’espace et dans les airs, au profit des terriens

Installation expérimentale au sein de l’avion Airbus Zéro-G (Novespace) pour l’expérience FlexMove 2.0 en 2019. Crédits : CNES/ Lionel Bringoux.

Au-delà des missions futures et des expériences de neuroscience d’aujourd’hui, médecins, ingénieurs et techniciens qui travaillent sur nos thématiques spatiales ont tous à cœur de transposer leurs résultats de recherche aux humains sur Terre. Et cela ne s’arrête pas aux mécanismes fondamentaux comme l’influence de la gravité sur notre perception ! Mieux comprendre le rapport des neurones avec la gravité, l’influence de nos sens sur notre perception du réel, c’est aussi pouvoir lutter contre leur dégénération. La maladie de Parkinson est régulièrement évoquée comme cible présente et future des recherches en neurosciences, mais elle n’est pas la seule. La rééducation post-AVC est en ligne de mire, ainsi que la personnalisation des traitements des différents troubles sensoriels.

Ce qui a démarré comme une coopération internationale il y a plus de 40 ans est aujourd’hui un foisonnant domaine de recherche.